Etudiants en deuxième année à l'ESRA Bretagne, nous devons réaliser un court-métrage de 10 minutes. C'est donc une chance pour nous d'adapter une nouvelle qui nous tient à coeur : Le Horla de Guy de Maupassant.

PITCH : Un homme est persuadé, jusqu'à l'obsession, d'être hanté par une présence invisble chez lui.

En choisissant d'adapter cette nouvelle, nous avons décidé d'aborder un genre plutôt rare au cinéma : le fantastique littéraire, qui se caractérise par l’intrusion du surnaturel dans le cadre réaliste d’un récit. En effet, contrairement au merveilleux, genre récurrent au cinéma, le fantastique littéraire se définit par l'hésitation qu'il produit entre le surnaturel et le naturel et ce jusqu'à la fin, qui ne donne jamais de réponse définitive.

Cela-dit, le cinéma nécessite un genre plus précis, et Le Horla correspond tout à fait au genre horrifique, de par sa nature de brouiller les pistes entre le réel et le surnaturel. Trouvant que le cinéma horrifique et fantastique est loin d'être associé au paysage cinématographique français, le choix du Horla est significatif : non seulement il s'agit d'un classique de la littérature jouant sur les impressions et l'invisible -ainsi adaptable sans avoir besoin d'un budget hollywoodien- mais en plus il a été écrit par l'un de nos plus grands auteurs français, Guy de Maupassant. En renouant avec un récit d'un auteur emblématique de notre pays, nous espérons montrer que le fantastique fait parfaitement partie de notre paysage culturel, même si nous avons tendance à l'oublier.

Tableau de Francis Bacon dont nous nous sommes inspirés pour l'un des effets du film

Le Horla est également une nouvelle qui a inspiré H. P. Lovecraft, un auteur dont l'univers nous tient à cœur. Elle est aussi la toute première à évoquer l'idée de l'invasion extraterrestre, bien avant La Guerre des Mondes de H. G. Wells, publié onze ans plus tard, thème qui nous plaît aussi beaucoup. Une nouvelle aussi importante pour le monde du fantastique, de l'horreur psychologique et de la science-fiction est un véritable défi à adapter, certes, mais c'est avant tout un plaisir de s'y confronter pour la faire continuer de vivre sous le prisme du XXIème siècle et d'un art tout autre qu'est le cinéma. Jusque dans l'approche étymologique du titre, Le Horla a un véritable potentiel cinématographique : « Horla » venant sans doute du paradoxe « hors » et « là », exprimant sûrement l'idée d'un être à la fois partout et nulle part, est tout aussi applicable au cinéma lui-même, un art qui capture des moments de vies passés et extérieurs à la vie des spectateurs eux-mêmes (« hors ») mais qui nous apparaît bien vivant lors d'une projection (« là »).

En plus de toutes ces raisons, Le Horla traite de thèmes terrifiants absolument universels et intemporels. Qui n'a jamais cru voir une silhouette ténébreuse près de son lit ? Qui n'a jamais pensé être observé alors qu'il n'y avait personne autour de lui ? Qui n'a jamais tellement ressassé une idée dans son esprit qu'elle en devenait obsédante ? Qui ne s'est jamais questionné sur la vie au-delà de notre Terre ? Même la sensation d'avoir un monstre humanoïde à genoux sur notre torse lors de notre réveil est une sensation scientifique prouvée, provoquée lors d'une paralysie du sommeil, où notre cerveau tente de résoudre un non-sens (notre esprit est conscient mais notre corps immobile) en postulant sur une situation de danger : il y a un être à genoux sur nous qui nous empêche de bouger. Toutes ces sensations semblent extrêmement cinématographiques, l'art de l'image et du son étant bien plus frontal et premier degré que la littérature.

Ces sensations donnent envie d'être retranscrites dans une salle de cinéma, et travailler sur cette adaptation nous donne la possibilité d'expérimenter, de se faire plaisir en proposant une expérience brute, d'aller à fond dans un genre et toujours avec l'ombre bienveillante de Guy de Maupassant au-dessus de nous, que l'on se doit de traiter avec tout le respect que nous lui devons.

Nous avons également choisi d'adapter cette histoire aux thèmes intemporels à notre époque par de petites touches discrètes comme une voiture, un ordinateur, des habits, etc... pour que la modernisation ne vienne jamais entacher le récit originel tout en permettant au spectateur de 2015 de se sentir proche des tourments du personnage principal.

La seule véritable intention qui tranche avec l’œuvre littéraire est d'avoir décidé de supprimer la narration interne : il n'y a pas de voix-off dans ce court-métrage. C'est un pari risqué car nous serons automatiquement moins proche du héros : nous ne serons plus dans sa tête comme c'était le cas avec le récit originel, sous la forme d'un journal intime. Cela-dit, en faisant le choix d'être dans une expérience purement sensorielle, d'abreuver le spectateur d'images et de sons horrifiques, nous voulons faire du Horla un cauchemar éveillé de dix minutes, duquel on sort lessivé mais prêts à se confronter à nos propres peurs, finalement communes à tous. Dans le noir, totalement statiques, face à des projections d'images, reflet de nos âmes, miroir de notre monde... finalement, l'expérience cinématographique n'est pas si différente de ce qu'on pourrait imaginer être un rêve collectif. Et ici, nous voulons que ce rêve soit un cauchemar.