Résumé

La Terre est à l'agonie, et je viens de me faire plaquer. La situation semble désespérée, jusqu’à ce qu'une vache fasse irruption dans ma vie, une vache étrange et magnifique. Elle va m'entraîner dans des mondes insoupçonnés et ré-enchanter mon regard.

Note d’intention

Je suis obsédée par l’aspect immatériel des choses. J’aime l’idée que le monde est peut-être plus vaste qu’il n’y paraît. Au travers d’expériences vécues dans mon corps depuis plusieurs années, j’ai découvert qu’il existe un invisible capable de soigner mes blessures psychiques et physiques. Comme la force électromagnétique, il y a des forces que l’on ne voit pas mais qui agissent dans le monde visible, sur la matière. Si cet invisible peut soigner mes blessures, il peut sans doute soigner celles des autres. Peut-il faire plus encore? Quel est cet invisible, et peut-on le filmer?

Une quête personnelle qui devient la matière du film

Il y a quelques années mon amie Anaïs m’a emmené consulter une «magnétiseuse». J’étais sceptique, mais j’ai dû admettre que cette femme, pendant deux ans, m’avait soignée. Je souffrais beaucoup du dos à cause d’une hernie. Plus d’une fois, elle a fait disparaître la douleur, sans me toucher, en passant ses mains au-dessus de mon corps. Soit il y avait une énergie qui passait dans les mains de cette femme lorsqu’elle enlevait la douleur, soit c’est moi qui m’en persuadais. Toujours est-il que dans les deux cas, quelque chose d’invisible opérait. Et cette chose, énergie ou puissance de l’esprit, agissait sur la matière, et pouvait soigner le corps. J’ai eu très envie de faire un film avec la magnétiseuse. Mais elle a refusé, comme la plupart de ses confrères que je suis allé rencontrer. La raison en était simple : ce que font ces gens n’est pas compréhensible aujourd’hui par la science. Leur activité n’est donc pas reconnue par le corps médical. Ces personnes n’avaient pas envie de s’exposer aux jugements qui sont déjà très forts et leurs pratiques restent la plupart du temps confidentielles.

Je cherchais une autre porte d’entrée de l’invisible, et Anaïs m’a parlé de la Biodynamie ; elle avait passé une journée avec des paysans occupés à remplir des cornes avec de la bouse. Elle était toute excitée : «C’est incroyable ce qu’ils font, il faut que tu les filmes.» J’ai obtempéré, et je suis partie rencontrer ces paysans étranges, qui sévissaient non loin de chez moi. J’ai vu des hommes et des femmes remplir des crânes de vache avec de l’écorce de chêne puis les enterrer sous un cours d’eau ; prendre des fleurs de camomille, les mettre dans des boyaux et les enterrer au fond de leur jardin. Ils parlaient aussi beaucoup des étoiles. J’ai lu les écrits de Rudolph Steiner, à l’origine de la méthode biodynamique au début des années 1920. J’ai plongé dans cet univers surprenant et poétique. J’ai pensé aux Amérindiens, pour qui la nature est animée, pleine d’esprits. J’ai entendu parler de la Terre comme d’un organisme vivant, comme si c’était «quelqu’un». J’ai participé à ces rencontres entre paysans et certains me sont devenus familiers.

Avant l’hiver, les biodynamistes enterrent leurs préparations. Au printemps, ils se réunissent et vont fouiller le sol comme des archéologues ou des chercheurs d’or. Ils récupèrent de minuscules boules de matière qui, selon eux, s’est transformée en un «super compost» boosté par les forces de vie souterraines. Ils utilisent aussi un calendrier astronomique, dans lequel toutes les planètes du système solaire jouent un rôle. Mais ce n’est pas tout. La matière obtenue est diluée et brassée dans de l’eau qui servira à soigner les cultures, un peu comme en homéopathie. C’est ce qu’ils appellent la dynamisation, opération pendant laquelle l’eau reçoit une « information ». J’ai compris, à force de fréquenter ces paysans, de voir le sérieux avec lequel ils faisaient ça, d’admirer la beauté de leurs jardins, que derrière ces pratiques déroutantes, il y avait une vision cohérente du monde, une logique et une méthode qui portait ses fruits. J’ai découvert qu’il y avait des associations chimiques précises entre organes et plantes médicinales, des phases astronomiques favorables ou non à la culture de telle ou telle partie de la plante. Après tout, la Lune et le Soleil agissent bien sur les êtres vivants. Pourquoi pas d’autres planètes ? Je suis allée de surprise en surprise en découvrant qu’il ne s’agissait pas d’une méthode simplement poétique ou écologique mais que la science, en s’en emparant, obtenait des résultats. Des études sont en cours, sur des sols complètement «lessivés» par l’agrochimie puis soignés en Biodynamie, qui retrouvent de la vitalité. Les précieux vers de terre et leur cortège d’êtres microscopiques, qui labourent la terre. Hé bien, ils reviennent. Personne ne sait comment ça marche. Mais l’invisible frappe encore.

Ce qui m’a séduit chez ces paysans, c’est leur façon d’allier le scientifique et le poétique. Ils sont un peu comme des alchimistes du XXIème siècle. Des guérisseurs, eux aussi. Ils soignent leur terre et leurs légumes, des légumes que nous mangeons ensuite. Donc, ils nous soignent. J’ai été touchée par l’attention qu’ils essayaient de mettre dans chacun de leurs gestes, en reconnaissant qu’ils n’y arrivaient pas toujours.

Avec eux, j’ai recommencé à contempler le monde. Cela m’a fait plonger au cœur du monde végétal : en m’arrêtant pour observer attentivement, j’ai découvert une symphonie de formes et de couleurs. J’ai eu envie de creuser la question de «l’intelligence» de la nature. J’ai écouté parler les botanistes. Ils m’ont raconté comment les plantes développent des stratégies pour communiquer entre elles, grâce à leurs racines ou des messages chimiques. De plus en plus de chercheurs s’accordent pour dire que les végétaux ressentent les interactions avec leur environnement, et ont sans doute une forme de conscience, très différente de la nôtre mais qui reste à comprendre.

J’ai avancé plus loin encore, dans le monde des quanta, les petites particules de matière. La physique quantique, cette science fascinante, nous raconte un monde que nous ne pouvons pas saisir avec nos cerveaux d’aujourd’hui. Là, nous touchons aux frontières de l’entendement humain. J’aurais pu choisir de faire une enquête journalistique sur chacune des disciplines traversées. Mais la conclusion aurait été la même. Nos capacités à connaître et à comprendre sont limitées. Plutôt que d’essayer de saisir rationnellement et à tout prix la Biodynamie, la Botanique ou les particules, j’ai choisi de rêver ces disciplines, de me laisser embarquer dans la beauté plastique de leurs images. Relever le défi de filmer l’invisible, c’est ce qui m’a permis de découvrir des mondes visibles. Car des merveilles, telles que les sociétés végétales, attendent de capter notre attention. C’est peut-être en faisant l’expérience de la beauté, d’un lien d’interdépendance profond qui me relie à l’ensemble du monde vivant, en ouvrant ma perception vers d’autres formes d’intelligence, en un mot, en changeant mon regard sur ma place dans le monde, que je peux envisager la fin du massacre de la biodiversité. J’espère ouvrir une parenthèse de rêve, faire briller une étincelle dans l’oeil d’un spectateur. Le film balance entre raison et imaginaire, science et rêve. Pour moi, il est important de réconcilier ces approches du réel. En laissant les questions ouvertes, en rendant hommage aux pionniers qui explorent de nouveaux horizons de connaissance.

Pour un ré-enchantement du monde.

La graine, les particules et la lune

La graine, les particules et la lune