Que se passe t-il quand une jeune danseuse de 26 ans, biberonnée à internet, décide de s'emparer de la question du genre dans son travail ? Elle crée Vulva T, son alter-ego, guerrière moderne, drag-queen performée par une femme, bien décidée à exploser la binarité des conventions de genre. Deux identités, un corps, même combat. Dragging The Drag, en suivant un parcours de l'intime à la scène, de Tiia à Vulva T, interroge le champ des identités possibles.

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Photographie: Akseli Kaukoranta

J'ai vu Tiia danser à une performance en mai.
Elle se démarquait des autres, je n'arrivais pas à la quitter des yeux.
J'ai demandé qui était cette danseuse. On m'a répondu que c'était Tiia Kasurinen.
Qu'elle avait un alter-ego drag queen, nommée Vulva T.

Les citations sont de Tiia Kasurinen.

« I wanted to become a drag-queen, so I did. »
« Je voulais devenir une drag-queen, alors je l’ai fait. »

Tiia est une jeune artiste de 26 ans, sortie en juin de l'école de DOCH, à Stockholm. Elle a crée le personnage de Vulva T pour questionner le genre, l'identité, et revendiquer un certain espace.
Tiia a constaté pendant ses recherches que beaucoup de gens refusaient l'idée qu'une femme puisse être drag-queen. Une femme qui fait du drag est appellée « faux queen ». Tiia refuse cette appellation, et ce faisant, elle trouble encore davantage les lignes. Quand bien même ces questions étaient déjà au centre de mes réflexions, ce métissage des genres qu'incarne Vulva T m'a troublé.
Il fallait que j'en rende compte.

« I'm trying to take drag practice and use it in my own reality. »
« J'essaie de m'approprier les codes du drag afin de les utiliser dans ma propre réalité. »

En m'intéressant à sa démarche, plusieurs choses m'ont frappées, et notamment la contemporanéité de son processus de création, qui me parle beaucoup. Elle fait énormément de recherches sur internet, a été très marquée par une série Netflix sur des drag-queen, et son instagram me semble être un prolongement de son travail de performeuse, dans la représentation qu'elle y fait d'elle-même.
Vulva T déborde de la danse, de la photo, de la performace, Vulva T est une somme de formes, et en cela elle est un pur produit de notre génération connectée.

« Vulva T is gender fluid. (...) She can be a woman, she can be a man in drag, she can be a
trans woman or she can be the "wo" in "woman". (…) Vulva T is on a mission. Her mission can be interpreted through her performance – maybe a spectator knows about it more than I do – but some of her main goal seems to be to empower other people. She’s my personal warrior. »
« Vulva T est gender fluid. (..) Elle peut être une femme, elle peut être un homme en drag, elle peut être une femme trans ou elle peut être le « wo » dans « woman ». (…) Vulva T a une mission. Sa mission peut être interprétée à travers sa performance. Peut-être que le spectateur en sait plus à ce propos que moi – en tout cas la plupart de ses combats majeurs semblent donner de la force aux gens. C'est ma guerrière personnelle. »

Vulva T prend un espace, dont Tiia a besoin pour s'exprimer. J'aime son approche du féminisme, la façon dont elle interroge le monde à travers son personnage. Suivre Vulva T, c'est la possibilité de filmer un discours incarné par un corps.
Et par-dessus tout Vulva T lui donne de la force. Elle nous donne de la force. En général le drag-queen, en incarnant une exagération d'attributs féminins (grandes lèvres, grosses fesses, gros seins, maquillage outrancier), caricature l'image de la femme telle qu'elle a été conçue dans une société patriarcale. Dans le drag, tout déborde.
Lorsqu'elle dit que le spectateur en sait peut-être plus qu'elle sur son personnage, elle montre bien comment cet espace qu'elle crée est une invitation à projeter les glissements de nos propres identités genrées.

« I have to be quite honest: I feel I'm far from knowing Vulva T (…) what I can claim is that Vulva T can be seen as my alter ego and therefore she is representing me in different ways. (…) Sometimes I try to separate the character from myself (...) however, often I notice my own behaviour and characteristics in her – just heightened. »
« Je dois être honnête, je me sens loin de connaître Vulva T (…) ce que je peux dire c’est que Vulva T peut être vue comme mon alter-ego, et donc elle me représente de différentes manières. Parfois, je travaille à séparer le personnage de ce que je suis (…) toutefois je retrouve souvent mes propres traits de personnalité en elle, seulement amplifiés. »

Le rituel de la transformation sera un enjeu de mise en scène majeur. Le maquillage est long et fastidieux. Ce qui émerge de ce rituel est une autre personne : chaque fois, Vulva T nait. Et cette naissance n'est pas seulement celui d'un personnage, c'est celui d'un espace de représentation. Je veux filmer l'émergence de cette espace.

« I have to be careful but I also have to be brave. »
« Je dois être prudente mais je dois aussi être courageuse »

Tiia, en créant elle-même son propre espace de représentation, fabrique un espace où elle peut elle aussi se libérer des carcans qui la brident. Il me paraît dès lors essentiel de questionner comment cette expérience a transformé Tiia, ce qu'il y a de poreux entre elle et son personnage.

Photographie: Akseli Kaukoranta

« Now i'm asking, what happened and what happens now. »
« Maintenant je me demande ce qu'il s’est passé et ce qu'il se passe maintenant. »

Filmer le corps, le mouvement, la transformation, comment un corps s'accapare un espace, rendre compte de la performance comme d'un médium « nouveau », au carrefour de différentes pratiques, témoigner de cette réflexion sur le genre, toutes ces choses sont autant de moteurs pour le film.

DRAGGING THE DRAG

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